
PORTRAITS
Véronique Ranson:
doublement chef
Véronique Ranson a toujours su qu’elle voulait ouvrir son propre restaurant et y servir sa propre cuisine. Tandis que pour la plupart ceci reste un rêve, cette chef de 38 ans s’est toujours donnée les moyens de réussir en dépit de ceux qui ne croyaient pas en elle.
Si aujourd’hui Véronique Ranson semble inébranlable, c’est parce qu’elle a su et dû se blinder au cours de sa carrière. De nombreux obstacles et défis ont essayé de lui barrer la route, mais la chef a toujours cru en son rêve. Elle a réussi à briser le plafond de verre en devenant doublement chef: de cuisine et d’une entreprise.
La chef a suivi un parcours classique au lycée hôtelier du Touquet, un des meilleurs de la région. En parallèle, elle s’arme de Mentions Complémentaires, des diplômes en plus permettant de se spécialiser dans des domaines de la restauration. Déjà au lycée, Véronique a en tête de monter son propre restaurant. Alors, elle participe à de nombreux concours dès l’âge de 17 ans. Un l’anime en particulier: la bourse Badoit. Le but est de monter sa propre entreprise pour tenter de gagner une bourse et concrétiser ce projet. Véronique ne remporte pas le premier prix, mais son idée prend forme et se précise.
Une fois son BTS obtenu, la jeune femme part "faire des saisons le plus loin possible". En restauration, les contrats sont fixés par saison, c'est-à-dire de mars à novembre. Elle commence par le sud de la France et la Bretagne, puis enchaîne avec une expérience formatrice chez un Meilleur Ouvrier de France en Suisse. "C’était la grosse brigade avec 15 personnes et j’étais la seule femme. Il fallait faire le boulot d’un homme et avoir le même mental", se souvient-elle.
Jusqu’au bout du monde
Véronique se rend compte qu’il lui manque un atout crucial pour réussir: l’anglais. Qu’à cela ne tienne, elle décide de partir en Irlande conquérir la langue. "Je me suis dit que je reviendrai quand je parlerai anglais", décide-t-elle.
Trois ans plus tard, c’est chose faite. Véronique rentre en France… et repart aussitôt! "C’était en 2009, en plein pendant la crise économique. Ce n’était pas le moment de monter ma boîte", raconte-t-elle. Pour cette chef réfléchie et lucide, chaque expérience est une corde à son arc et elle ne laisse rien au hasard. Pour continuer de développer son expérience dans des établissements toujours plus variés, du salon de thé au grand resort, la chef passe un an en Australie, puis un an en Nouvelle-Zélande.
Son "voyage culinaire" se poursuit en Asie. "Je suis partie pendant trois mois. J'ai visité la Malaisie, le Vietnam, la Chine, le Népal, l’Inde, l'Île Maurice et l’Île de la Réunion", égrène-t-elle. De ces pays, elle ramène des épices et des idées de recettes à réaliser dans son futur restaurant.
En novembre 2012, il est enfin temps pour la chef d’ouvrir son établissement en France. Exigeante, Véronique en visite 37 en un an et demi avant de tomber amoureuse de l'Auberge de l'arc-en-ciel, à Fauquembergues, nichée dans le Pas-de-Calais, au style mi-Estaminet typique de la région, mi-pub anglais, et reprise à une gérante partie à la retraite. Une belle transmission d’une femme à une autre.
Sept ans d’expérience, de professionnalisme et de vie pour monter son projet
Débutent alors six mois de démarches administratives. "Déjà qu’en France, c’est compliqué, mais en plus quand on est une femme chef et en plus quand on est une femme seule… On a limite l’impression qu’en étant célibataire on n’a le droit de rien, déplore-t-elle. C’est là que je rencontre la complexité d’être une femme chef. On passe pour des extra-terrestres."
"C’est là que je rencontre la complexité d’être une femme chef. On passe pour des extra-terrestres"
C’est une des raisons pour lesquelles la chef est partie si longtemps à l’étranger: elle sait qu’en France, les femmes n’ont pas leur place en cuisine. "À l’étranger, une femme a autant de place qu’un homme. Je suis passée de commis à chef rapidement, alors que je ne parlais pas beaucoup anglais. On regardait mes compétences. En France, il est très difficile pour une femme d’accéder au poste de second."
Ce ne sont pas seulement les chefs qui sont dubitatifs envers les femmes. Véronique a aussi vu l’incrédulité dans le regard de sa banquière et de ses fournisseurs, ces derniers demandant à parler au patron. Pour mettre toutes les chances de son côté dès le début, Véronique rencontre sa banquière avec "le dossier de sept ans d’un projet mûrit, sept ans d’expérience, sept ans de professionnalisme, de vie concrète" sous le bras. "J’ai tout mis sur le tapis, affirme-t-elle. J’ouvre un restaurant et c’est mon métier, je ne sors pas de nulle part."
"C’est moi le chef" de cuisine et d’entreprise
Une fois son auberge ouverte, en février 2015, la chef apprend surtout à être dirigeante d’entreprise et doit "savoir résoudre ses problèmes seule", à savoir bricoler, jardiner, se débrouiller, et, toujours, se blinder. "Quand on est une femme on doit toujours se montrer, montrer qu’on est là, montrer ce dont on est capable", insiste-t-elle. Un travail sans relâche, car si une femme baisse sa garde, "elle se fait marcher dessus", et Véronique a quelques exemples en tête. Elle a vécu des trahisons et acquis des "leçons de vie" qui "n’arriveraient pas à un homme", mais qui forgent son expérience en tant que chef d’entreprise en même temps que chef de cuisine.
"Vous ne m’avez pas forcément laissé de porte ouverte, alors je vais ouvrir les miennes"
Pas le genre à se laisser abattre, Véronique poursuit son rêve. "C’est une fierté et une revanche d’ouvrir mon restaurant, l’occasion de dire à tous les hommes que je peux réussir et de leur dire: "Vous ne m’avez pas forcément laissé de porte ouverte, alors je vais ouvrir les miennes"."
Comme récompenses, Véronique peut se targuer d’avoir plusieurs labels de qualité, dont celui de Maître restaurateur et le Petit Futé. Elle a aussi remporté un prix lui tenant particulièrement à cœur: "J’ai reçu le prix Coup de cœur lors du concours des "Femmes chefs d’entreprises", décerné à Lille en 2015. "C’était la fierté de dire que je suis là, j’existe et j’ai créé mon entreprise."
D’ailleurs, la chef a un message pour toutes les étudiantes en hôtellerie qui peuvent être découragées par la dureté du métier: "Il faut croire en soi et en son rêve, ne pas se sous-estimer et travailler pour soi. J’ai réalisé mon rêve avec cette auberge, il est là. Quand on réalise son rêve, on arrive à vaincre et à briser le plafond de verre."
Photo, vidéo et sons: Géraldine John