
ENQUÊTE
"C'est comme ça":
L'avis des hommes
Qu'ils soient sexistes ou pas, chefs ou patrons, tous s'accordent à dire la même chose au sujet du manque de femmes en cuisine: "C'est comme ça".
Ces chefs ne sont pas nécessairement sexistes. Mais en haussant les épaules en disant "C'est comme ça", ils perpétuent néanmoins la notion que les femmes n'ont pas encore tout à fait à leur place en cuisine, et ne font rien pour améliorer la situation. Si c'est aux femmes de se montrer deux fois plus capables que les hommes, c'est peut-être aux hommes de faire un effort en laissant une place aux femmes.
"Il y a des femmes douées en cuisine, mais on met l’accent sur les hommes"
Patrick Hittos, chef au château de Cocove à Recques-sur-Hem, a l’habitude de travailler avec des femmes. Sa second de cuisine, Justine Annebicque, travaille avec lui depuis plusieurs années. Le chef a une approche quasi militaire et mène sa brigade à la baguette. "L’ambiance est très directe et crue en cuisine, il faut un caractère endurci, prévient-il. Pas de regrets, pas de pitié."
Au sujet des femmes, il estime, sans mâcher ses mots, qu'une "femme est moins carriériste qu’un homme dans notre profession". Patrick Hittos parle de façon directe, mais ne prend pas de haut. Il parle surtout comme quelqu'un qui a une centaine d'autres choses à faire et n'a pas le temps de tergiverser. Il sait que le sexisme et la violence sont de vrais problèmes dans sa profession, mais ce n’est pas son style. "Ce que les chefs ne comprennent pas, c’est qu’il faut des cours de management, avance-t-il. J’en ai pris et j’ai appris à traduire mes idées. Le milieu a évolué et les gens aussi. La répression physique n’est pas normale. Les chefs ont compris que s’ils ont une étoile, c’est grâce au personnel."
Quant à la visibilité des femmes chefs, il pointe le doigt vers les médias, estimant qu’ils "ne prennent pas le tournant. Il y a des femmes douées en cuisine, mais on met l’accent sur les hommes", regrette-t-il.
Pour ce chef, le métier a évolué pour devenir beaucoup plus inclusif vis à vis des femmes. "On n’est plus au temps où il fallait porter les carcasses de viande…" Même si la question de la famille revient toujours pour les femmes. "La question se pose dès l’école pour une fille. Les hommes ne s’occupent pas de leurs enfants. Ils prennent un congé parental seulement s’ils gagnent moins que leur femme."
Pour l’instant, "c’est comme ça. Mais il y aura une évolution en cuisine: on a de plus en plus de mal à trouver du personnel et ce sera d’autant plus vrai quand le dimanche sera considéré comme un jour de travail comme les autres. Il est possible de concilier sa vie personnelle et professionnelle."
"Les femmes sont obligées de s’arrêter pour s’occuper de leur famille"
Quand on lui demande pourquoi il y a moins de femmes en cuisine, Fernand Leroy, patron du restaurant Aquar’aile à Calais, revient aux origines de la vie pour livrer son avis. "Ma priorité, c’est la vie avant tout, déclare-t-il. Les femmes sont obligées de s’arrêter pour s’occuper de leur famille. C’est l’appel de la nature. C’est plus important que tout. La réussite, c’est les enfants." Et d’ajouter précipitamment: "Ce n’est pas une question de machisme".
Sa femme est directrice du restaurant et l’Aquar’aile compte trois femmes en salle, mais aucune en cuisine. "Cela ne me dérangerait pas, j’ai déjà travaillé avec des femmes chefs. Et puis c’est plus agréable", se défend-t-il.
"Il ne faut pas différencier. On parle d’égalité, mais si on différencie on ne peut plus parler d’égalité"
Tout n’est pas perdu avec la nouvelle génération. Clément Merlin, 20 ans, est étudiant en Bac pro cuisine au Centre de formation d’apprentis de Dunkerque. Il est très sensible au sexisme en cuisine car sa copine est également étudiante en hôtellerie-restauration. "C'est sûr qu'il faut avoir du caractère. Je l’ai remarqué pendant mes stages, mais j’ai aussi remarqué que plus on monte dans les grades, moins il y a du sexisme", analyse-t-il.
Pendant un de ses stages, Clément Merlin a travaillé sous les ordres d’une second de cuisine et il ne voit aucune différence. "C’est la hiérarchie, tu respectes, c’est tout, pointe-t-il. La personne mérite son poste. On est tous pareils."
Lui n’a pas été victime de sexisme en cuisine, mais sa copine lui a raconté sa propre expérience. "Je ne ferais jamais ce que les chefs lui ont fait subir si j’étais à leur poste, assure-t-il. C’est bien d’avoir des femmes en cuisine, elles apportent beaucoup. Je pense qu'il ne faut pas différencier. On parle d’égalité, mais si on différencie on ne peut plus parler d’égalité."
Ces hommes sont d’accord sur deux choses: si une femme exhibe une faiblesse de caractère ou de physique, cette faiblesse sera exploitée, mais qu’avoir une femme en cuisine est signe d’un travail soigné, plus méticuleux et esthétique. Ils sont aussi d’accord que le métier a évolué positivement depuis qu’ils ont débuté leur carrière. La cuisine devient plus inclusive, le matériel plus léger et les méthodes plus efficaces. L’espoir repose sur les prochaines générations de cuisiniers et chefs pour valoriser leur personnel féminin.
Photos et vidéo: Géraldine John et U.S. Navy photo by Petty Officer 3rd Class Karen Blankenship (fond d'écran).

Patrick Hittos est chef au château de Cocove.

Clément Merlin est étudiant en restauration.

Fernand Leroy est le patron du restaurant gastronomique Aquar'aile, à Calais.