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ENQUÊTE

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Sexisme ordinaire:
le poids des mots
Beaucoup de journalistes utilisent des adjectifs infantilisants, voire condescendants, lorsqu'ils écrivent des portraits sur des femmes, la plupart du temps sans même s'en rendre compte. D'autres journalistes, comme la Britannique Sudi Pigott, essaient d'y remédier en luttant pour l'égalité des mots.

Charmante, séduisante, discrète… les adjectifs ne manquent pas pour décrire les femmes chefs. Sauf que ceux-ci, au lieu d’élever ces chefs aux mêmes rangs que leurs confrères, a plutôt l’effet de les rabaisser. 

Si un homme est ambitieux alors une femme est plutôt carriériste. Une femme est émotive, un homme est, semble-t-il, dépourvu d’émotions. Se montrer agressif ou déterminé sont des qualités recherchées chez un homme, mais pas très attirantes chez une femme, qui, elle, se doit d’être délicate et jolie. 

 

 

Sudi Pigott est une journaliste britannique. Elle lutte depuis plusieurs années pour que les femmes chefs soient plus visibles dans les médias. Et elle choisit bien ses mots. "C’est quelque chose de très important pour moi. On parle trop de cuisine délicate et réconfortante et on ne parle pas assez de cuisine créative, inventive et qui a du punch que les femmes aiment faire aussi."

 

La journaliste écrit régulièrement des articles à propos des lauréates du World’s 50 Best Female Chef. "Je remarque le vocabulaire employé à propos des femmes depuis quelques années, surtout depuis que j’écris des articles sur elles, comme lorsque Elena Arzak et Anne-Sophie Pic ont remporté le prix en 2012 et en 2011, respectivement." Sudi Pigott échange avec la chef française depuis ce temps et assure qu’elle partage son avis sur l’importance des mots.

"Je pense que le parti pris des médias est le plus souvent inconscient, mais il est très mauvais d’utiliser le mot "têtue" de façon négative pour une femme, alors qu’on utiliserait probablement des mots comme "ambitieux" pour un homme."


 

Sudi Pigott a écrit plusieurs articles au sujet des femmes en cuisine (qui forment seulement 18,5% des effectifs dans les cuisines britanniques) pour le site d’informations anglais, iNews.

 

La journaliste est toutefois indulgente avec ses confrères. "Je pense que le parti pris des médias est le plus souvent inconscient, mais il est très mauvais d’utiliser le mot "têtue" de façon négative pour une femme, alors qu’on utiliserait probablement des mots comme "ambitieux" pour un homme."

Même les plus grandes chefs étoilées n’échappent pas à cette condescendance, inconsciente ou pas. Dans un article sur le site de Forbes.fr, Anne-Sophie Pic est décrite ainsi: "De sa voix douce et souriante", "La composition de ses plats sont à son image: précis, délicats, doux et forts", "La cheffe et l’entrepreneur… Elle, la fourmi travailleuse entièrement dédiée à son art. Lui, l’entrepreneur qui voit le business derrière la cuisine", "Ici tout n’est que douceur et beauté, délicatesse, calme et volupté".

Deux poids, deux mesures

Pourrait-on imaginer les mêmes adjectifs employés pour décrire un homme? Sans doute pas. Le chef étoilé Marc Veyrat est qualifié "d'enfant terrible de la gastronomie" et de "maestro des fourneaux", dans Le Point, tandis que Le Figaro salue la "créativité échevelée du maître".


Souvent, les adjectifs décrivent le caractère d’un homme, mais le physique d’une femme. On pourrait créer un bingo des mots et phrases les plus utilisés pour qualifier une femme. Carton plein si on lit: "La jolie jeune femme, de nature discrète, mais pour autant ambitieuse, au physique pulpeux, avec un regard pétillant et séduisant..."

Alors que les hommes sont décrits par rapport à leur qualité (chef, pompier, etc.), les femmes sont renvoyées à leur rôle traditionnel de femme, mère, épouse. La question de l’équilibre entre la carrière et la vie personnelle revient systématiquement pour une femme, jamais pour un homme. "Les représentations véhiculées par [la] presse enferment les femmes dans leurs rôles et qualités traditionnels, posant de fait la question de leur légitimation", explique Cécile Sourd dans son étude sur la représentation des femmes en politique à travers la presse.

Cette utilisation d’adjectifs n’est évidemment pas limitée au monde de la gastronomie. Les mots comme frigide, bimbo, garce, allumeuse, pétasse, hystérique ou encore agressive, ont pour la plupart un équivalent masculin, mais qui les connaît? Et qui les utilise pour décrire/insulter des hommes?

Photo: Leyla Kazim

Sudi Pigott fait attention aux mots qu'elle emploie. Photo: Leila Kazim

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